Africa n°1 : Raimundo Ela Nsang, secrétaire exécutif de la CORED, à l’émission « Le Grand Débat »sur
Africa n°1.
Invité à l’émission « Le Grand débat » sur Africa n°1, le mercredi 22 janvier, l’opposant équato-guinéen, Raimundo Ela Nsang, secrétaire exécutif de la Coalition d’opposition pour la Restauration d’un État démocratique (CORED), a répondu aux questions du présentateur Francis Laloupo et du polémiste Jean-Claude Tchicaya, consultant sur les questions sociales et éducatives.
Pour ceux qui ont manqué l’émission et qui ne pourront l’écouter sur le site web d’Africa n°1 : ICI, nous vous proposons une transcription (non littérale) de l’interview :
-
Francis Laloupo : Au pouvoir depuis 1979, Teodoro Obiang Nguema est
davantage connu pour l’affaire dite « des biens mal acquis » que pour sa
gestion de la Guinée équatoriale. Derrière les opérations de
communication et les images d’un pays qu’on dit en plein essor, quelle
est la réalité politique de la Guinée équatoriale ? Face à l’absence
d’alternance démocratique, les mouvements d’opposition en exil ont
décidé de se réunir au sein d’une coalition, mais que réclame exactement
cette opposition et quels sont ses moyens d’action ? Réponse avec notre
invité : Raimundo Ela Nsang, Secrétaire général de la CORED (Coalition
d’opposition pour la Restauration d’un État démocratique).
Raimundo Ela Nsang, bonsoir !
- Raimundo Ela Nsang : Bonsoir. Merci de m’avoir invité sur Africa n°1.
- Francis Laloupo : Parlez-nous de votre mouvement, la CORED…
- Raimundo
Ela Nsang : Actuellement, nous rassemblons 12 partis en exil et nous
espérons que d’autres partis vont se joindre à nous. Notre objectif est
de lancer un mouvement qui puisse offrir un espoir au peuple. Car, en
Guinée équatoriale, le seul parti d’opposition légalisé sert surtout à
donner le change à un régime qui prétend être démocratique, mais qui
n’est en fait qu’une dictature déguisée en démocratie, ce qu’on appelle
parfois : une démocrature.
-
Francis Laloupo : Pour mieux vous connaître, vous êtes vous-même le fils
d’un militant politique qui fut un des leaders de l’indépendance de la
Guinée équatoriale. Est-ce que son parcours politique a été moteur de
votre propre engagement ?
- Raimundo
Ela Nsang : Oui effectivement. Mon parcours politique personnel
s’inscrit dans le sillage de mon père et de tous ceux qui ont travaillé
pour l’indépendance de notre pays. Contrairement à Teodoro Obiang qui ne
s’est jamais engagé dans le processus d’indépendance, car c‘est
quelqu’un qui a été parachuté par son oncle (élu président en 1969),
suite à une tentative de coup d’Etat survenue 6 mois après
l’indépendance. Et d’ailleurs, mon père a fait partie de ceux qui
s’étaient opposés à la promotion de Teodoro Obiang en tant que
responsable des forces armées.
-
La Guinée équatoriale est un petit pays méconnu. Aujourd’hui, en France,
on parle beaucoup de l’affaire des « Biens mal acquis ». Pour votre
part, regrettez-vous qu’on ne parle de votre pays qu’à travers cette
affaire judiciaire ?
-
Oui, bien sûr, je le déplore. Les médias s’intéressent surtout aux
faits insolites autour des « biens mal acquis » et du fils du président
parce que c’est amusant pour leurs lecteurs, mais l’opposition
(jusqu’alors très localisée en Espagne) ne bénéficie pas de l’attention
des médias pour parler du régime d’Obiang.
Je
voudrais que nous analysions, au-delà des « biens mal acquis », les
conséquences d’une mauvaise gouvernance pour notre pays. De même, nous
réclamons depuis longtemps à être entendus par la Communauté
internationale, car nous croyons qu’il ne peut pas y avoir de changement
politique en Guinée équatoriale sans une forte pression de la
Communauté internationale.
-
Dans cette affaire des « biens mal acquis », on se souvient des saisies
spectaculaires effectuées à Paris et du mandat d’arrêt lancé par la
justice française. On sait par ailleurs que Teodorin, le fils du
président qui a amassé toute cette fortune, avait déjà été arrêté en 2001 aux États-Unis pour détention de stupéfiants, et qu’il est aujourd’hui ministre…
- Non, il
est 2e vice-président. C’est son jeune frère qui est ministre du
pétrole… Mais, le 28 janvier prochain, le jour où aura lieu la
Conférence de presse de la CORED à Paris, Teodorin doit se présenter
devant un juge fédéral américain en Californie, et s’il ne se présente
pas, il risque d’avoir contre lui un nouveau mandat d’arrêt
international, cette fois dicté par les États-Unis.
-
Concernant la succession du président, plusieurs fils pourraient y
prétendre et notamment celui qui est ministre du pétrole (Gabriel Mbega
Obiang Lima)…
- Oui,
c’est pourquoi la CORED veut permettre une transition démocratique pour
éviter une succession qui serait une catastrophe pour le pays…
Aujourd’hui, le peuple équato-guinéen est relativement passif, il subit,
il n’y a pas de guerre civile, et cela peut donner l’impression que la
population soutient le régime. Mais, je voudrais démentir
cette fausse impression en faisant remarquer que si le régime
équato-guinéen se montre si féroce, c’est qu’il sait qu’il y a en face
de lui un peuple qui aspire au changement. Le degré de répression est
proportionnel au désir du peuple de se libérer.
-
Parlons de cette Guinée équatoriale, pays d’à peine 740.000 habitants
qui dispose de ressources pétrolières très importantes. C’est le 3e
producteur pétrolier en Afrique subsaharienne, avec un taux de
croissance de 13% en 2013. Un taux de croissance qui dépend du prix des
hydrocarbures et qui n’a rien à voir avec le niveau de vie des
Équato-guinéens. Un PNB qui s’élève à 11 milliards de dollars dont 90%
proviennent des industries pétrolières et gazières. Comment donc est
géré aujourd’hui cette manne pétrolière en Guinée équatoriale et quelle
est la situation économique du pays ? Doit-on croire le gouvernement
équato-guinéen qui parle d’un « boum économique », de l’essor des
infrastructures et de l’élévation du niveau de vie ?
- Oui, le
pays est en croissance économique si l’on tient compte de la production
des hydrocarbures, mais l’on analyse comment cette manne pétrolière est
gérée, on va se rendre compte que la situation de la population ne
s’améliore pas. Le pays connaît par exemple une situation de
malnutrition chronique…
-
Vous êtes en train de nous dire que le 3e producteur pétrolier d’Afrique
subsaharienne ne parvient pas aujourd’hui à nourrir 740.000 habitants ?
-
Voilà. C’est une réalité. Il n’y parvient pas. La Guinée équatoriale
est classée au 136e rang mondial pour son indice de développement
humain, loin derrière le Gabon (109e) qui a pourtant un PIB par habitant
deux fois moins important. De
même, l’espérance de vie en Guinée équatoriale est de 51 ans tandis
qu’au Gabon, elle est de 63 ans. Ce sont des données qui montrent qu’il
n’y a pas eu d’améliorations en Guinée équatoriale et qu’il y a un écart
abyssal entre les richesses que nous exploitons et la pauvreté de la
population.
- Mais alors, où va l’argent ?
- Il y a
des biens mal acquis, mais pas seulement. Comme vous le savez, la Guinée
équatoriale détient 50% des réserves de la CEMAC. Ce sont des données
objectives publiées par les organisations internationales. Par ailleurs,
le gouvernement met en place des projets faramineux. Aujourd’hui, il
est en train de construire une
ville au fond de la forêt (Oyala), une ville de 200.000 habitants (alors
que nous sommes 740.000 !), avec des palais présidentiels, etc. Le
gouvernement mise sur la construction d’infrastructures pour justifier
une politique d’investissements, comme les nombreux hôtels généralement
vides, sans parler de la cité de
Sipopo où ont été construites 52 villas luxueuses pour héberger les
Chefs d’État lors du Sommet de l’Union africaine en 2011. Il y a donc
des investissements lourds qui n’ont rien à voir avec les besoins de la
population.
Aujourd’hui,
le gouvernement est fondé sur une logique clientéliste. En ouvrant le
pays aux investisseurs étrangers, Obiang dispose désormais de l’argent
lui permettant d’entretenir de nombreux courtisans, mais il refuse de
faire progresser son peuple, car un peuple ignorant et pauvre ne pourra
pas se battre contre lui. En 1997,
lors d’une Conférence économique, Obiang avait promis que l’argent du
pétrole servirait à améliorer la situation sociale, mais il s’est rendu
compte qu’en faisant cela, il se mettrait en danger, car un peuple
instruit ne pourrait jamais accepter le non-respect de ses droits…
- Quels sont aujourd’hui les principaux partenaires économique de la Guinée équatoriale ?
Aujourd’hui,
le partenaire qui prend de l’importance, c’est la Chine. Même si ce
sont encore les entreprises américaines qui ont la maîtrise du secteur
pétrolier. Avec l’affaire des « biens mal acquis », la Guinée
équatoriale se détourne peu à peu de ses anciens partenaires, les
États-Unis et la France, pour trouver de
nouveaux alliés (moins sourcilleux sur le respect des droits de
l’homme). La Chine remporte là-bas des contrats faramineux, comme celui
de 700 millions de dollars pour l’électrification qui n’arrive jamais…
-
Jean-Claude Tchicaya : Merci, Monsieur, pour votre éclairage sur la
Guinée équatoriale. Vous avez souligné que ce pays comptait moins de
800.000 habitants. C’est un pays qui est assez méconnu, sauf par les
frasques présidentielles, le népotisme ou les « biens mal acquis », et
on se demande comment un pays aussi bien doté en ressources naturelles
peut se trouver aujourd’hui dans une situation aussi ubuesque et aussi
dramatique, avec des inégalités sociales et économiques spectaculaires,
et une population dont les besoins élémentaires ne sont pas satisfaits…
Ma
question est donc la suivante : Existe-il en Guinée des partis
d’opposition qui participent à la vie politique du pays ? Quels sont vos
liens avec eux ? Et quels sont vos espoirs à l’extérieur de cette
Guinée équatoriale de parvenir à cette transition démocratique ?
- Raimundo
Ela Nsang : J’ai déjà un peu répondu à cette question tout-à-l’heure.
Alors, pour comprendre, il faut savoir qu’au cours des années 1980 et
1990, avant la découverte du pétrole dans les eaux équato-guinéennes,
Obiang avait subi des pressions occidentales pour démocratiser le pays.
Mais, par malheur, c’est au même moment où se mettait en place le
processus du multipartisme que les entreprises américaines ont découvert
les premiers gisements pétroliers. A partir de ce moment, Obiang a
disposé de ressources financières suffisantes pour ne plus devoir se
soumettre aux exigences occidentales. Le seul parti d’opposition
légalisé qu’il tolère encore aujourd’hui n’est là que pour donner
l’illusion que le pays est bien une démocratie…
- Quelles sont les trois principales revendications de la CORED ?
- D’abord,
obtenir un véritable développement humain de la Guinée équatoriale.
Ensuite, permettre au peuple de choisir librement ceux qui doivent le
diriger et un meilleur partage des richesses. Enfin, il faut restaurer
l’image de notre pays tant en Afrique que dans le reste du monde.
Plusieurs
auditeurs africains interviennent alors et réagissent aux échanges
précédents. L’invité répond en bloc à toutes ces interve
-
Raimundo Ela Nsang : Si Obiang faisait les choses correctement, comme
l’a dit la première auditrice, nous n’aurions pas les indices de
développement dont j’ai parlé tout-à-l’heure,
et si l’opposition pouvait s’exercer à l’intérieur du pays, nous ne serions pas là aujourd’hui. Nous sommes en exil parce qu’on ne peut pas s’opposer à l’intérieur du pays. Nous n’avons pas accès aux médias et aucun média d’opposition n’est autorisé. il est interdit de manifester ou de faire des meetings politiques. La seule manifestation qui a eu lieu dans le pays, nous l’avions organisée le 17 septembre 1992, entre étudiants, pour exiger la libération d’un de nos professeurs. Obiang dépense énormément d’argent pour sa communication à l’étranger.
Je m’adresse donc à mes amis africains :
Soyons sérieux. La Guinée équatoriale, c’est un pays qui est
extrèmement riche. Aujourd’hui, on dit que la Guinée équatoriale n’est
pas développée, ce n’est pas faux. A l’auditeur qui est allé travailler
en Guinée équatoriale, je voudrais dire qu’Obiang fait venir dans le
pays des cadres étrangers, des médecins, par exemple, qu’il paie dix
fois plus que les médecins équato-guinéens… A tous les auditeurs qui se
sont exprimés, je dis qu’on verra un jour les dégats qu’a fait Obiang en
45 ans de pouvoir dans l’une et l’autre dictature. Il a commis des
exactions, il faut se renseigner, l’histoire de la Guinée équatoriale
est méconnu …et si l’opposition pouvait s’exercer à l’intérieur du pays, nous ne serions pas là aujourd’hui. Nous sommes en exil parce qu’on ne peut pas s’opposer à l’intérieur du pays. Nous n’avons pas accès aux médias et aucun média d’opposition n’est autorisé. il est interdit de manifester ou de faire des meetings politiques. La seule manifestation qui a eu lieu dans le pays, nous l’avions organisée le 17 septembre 1992, entre étudiants, pour exiger la libération d’un de nos professeurs. Obiang dépense énormément d’argent pour sa communication à l’étranger.
Concernant
notre projet politique et le dialogue avec le régime, nous travaillons
réellement projet et nous invitons Obiang à débattre avec nous pour
parler des problèmes de la Guinée équatoriale, mais il n’acceptera pas
de dialoguer avec l’opposition, car jamais il ne l’a fait.
- Francis Laloupo : C’est le moment d’évoquer ici l’enlèvement récent d’un opposant (Cipriano Mba Nguema) à Lagos (Nigeria), le 14 décembre dernier. Selon vous, il a été arrêté à Lagos et transféré dans une prison de votre pays. Vous parlez donc d’une violence d’État…
- Oui, il
existe une violence d’État. Et si on en vient à kidnapper des opposants à
l’étranger, cela signifie qu’on craint l’opposition. Je suis en contact
avec la femme de Cipriano Mba Nguema qui vit en Belgique avec ses 5
enfants lesquels bénéficient de l’asile politique de la part du
gouvernement belge. Son mari est allé au Nigeria avec un visa délivré
par les autorités nigérianes. Renseigné par des agents sur place, Obiang
a décidé son enlèvement avec la complicité de bandes organisées
nigérianes. Mais alors qu’ils étaient en mer en direction de Malabo, les
gardes-côtes nigérians les ont interceptés et ont ramené le bateau au
Nigeria. Obiang a alors usé de toute son influence pour que ce soit
l’État nigérian, lui-même, qui lui livre Cipriano Mba Nguema. C’est dans
l’avion présidentiel qu’il a été transféré à Malabo. C’est une
violation des droits d’asile, ce sont des faits extrêmement graves.
A
l’auditeur qui nous conseillait de rentrer au pays pour faire de
l’opposition, je demande ce qui se passera pour nous alors qu’on nous
kidnappe déjà quand nous sommes à l’étranger. C’est un régime fragile
qui se maintient par une violence répressive, une violence à la mesure
de sa fragilité. D’ailleurs, la fermeture des frontières, en violation
des accords communautaires de la CEMAC, s’inscrit dans la même logique.
-
Mais alors pourquoi la Guinée équatoriale reste-t-elle dans la CEMAC
puisqu’elle refuse d’en appliquer les règles communes (comme l’adoption
du passeport biométrique et la libre circulation des personnes) ?
- La
Guinée équatoriale détient aujourd’hui 50% des fonds de la CEMAC, cela
lui confère une importance diplomatique et économique. Elle n’a pas
intérêt à la quitter. Obiang fonctionne en fonction de la permanence de
son régime. S’il y a un fait qui peut mettre en danger son pouvoir, il
ne le respecter jamais. Comme il ne respecte pas beaucoup d’accords
qu’il a pourtant signés…
-
Nous arrivons à la fin de cette émission. Je rappelle que vous êtes le
Secrétaire exécutif de la CORED (Coalition d’opposition pour la
restauration d’un Etat démocratique) et votre mouvement organise une
conférence de presse, le 28 janvier, pour présenter votre programme et
votre projet politique. Cet événement est ouvert au public, au 2 Place
de la Bourse, à Paris.
(Source : Africa n°1 – Transcription : Assofrage)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire